Un site puissamment fortifié
Occupant un site de plus de 200 mètres sur 80, Miolans est l’un des ensembles fortifiés les plus importants et les mieux conservés de Savoie. Jules Formigé, membre de l’Institut de France, a écrit qu’il s’agissait du « type le plus complet et le plus parfait de l’art militaire à la fin du XVe siècle ». Dans sa forme générale, le château est achevé au début du XVIe siècle et inscrit clairement la puissance des ses seigneurs dans le paysage savoyard.
Décrivons succinctement les éléments architecturaux du nid d’aigle des Miolans.
Les abords du château
Ils constituent une partie caractéristique du système défensif de Miolans. L’accès au château ne pouvait s’effectuer que par l’ouest, du côté de Saint-Pierre-d’Albigny. C’est donc dans cette direction que se concentrent les principaux éléments défensifs. Les assaillants étaient arrêtés par trois fossés avant d’espérer approcher la première porte à pont-levis. Celle-ci s’inclut dans un châtelet d’entrée, sorte de petite cour fortifiée, qui forçait l’assaillant à se tenir à bonne distance des remparts du château. Il pouvait contenir un premier assaut ou bien concentrer une troupe en vue de tenter une sortie et bousculer d’éventuels assiégeants. Un corps de garde veillait sur le pont-levis et la première porte.
Après avoir franchi ces premiers obstacles, les ennemis ne pouvaient poursuivre leur progression qu’à travers une porte fortifiée qui ouvrait sur une longue rampe. Cette deuxième porte était complétée par des assommoirs, des meurtrières et une herse. Tout près, au nord, une poterne fournissait une sortie pour quelques assiégés. Elle dissimulait également, au sud, une galerie couverte bien défendue, destinée à établir une communication sécurisée entre le corps de garde de l’entrée et le château proprement dit. Ce passage permettait un repli stratégique ou l’arrivée d’un renfort de soldats pour prendre l’ennemi à revers dans la rampe.
La rampe d’accès
Il s’agit d’un long chemin aménagé entre la première enceinte (sur la gauche, au nord) et le puissant rempart du corps du château (sur la droite, au sud) qui domine l’ensemble. Cette défense sur deux niveaux faisait que l’ennemi ne pouvait échapper à la vigilance des guetteurs. Lors de sa progression, l’assaillant était la proie de tirs croisés venant de son flanc droit et de son dos. En effet, la deuxième enceinte qui le surplombait et la porte qu’il venait de franchir étaient percées de meurtrières. En outre, l’étroitesse du chemin rendait la fuite malaisée et causait des pertes significatives.
A mi-distance environ, la rampe se rétrécit encore et le passage se heurte à un nouveau corps défensif, aujourd’hui disparu, avec porte et herse. La dernière partie de la rampe s’élargit enfin, toujours protégée à droite (sud) par les tirs de la deuxième enceinte. Une imposante tour d’artillerie (la tour de la Sauvegarde) constitue la dernière défense de cette rampe et achève d’en faire un piège redoutable. Elle jouxte et protège la quatrième porte, c’est-à-dire l’entrée de la basse cour du château.
La basse cour
On y accède par la porte dominée par la tour de la Sauvegarde. Cette entrée était bien défendue (porte, herse, assommoir, meurtrière). La vaste basse cour fortifiée devait contenir, comme on peut l’observer ailleurs, les dépendances, les écuries et les granges. Elle pouvait également servir de refuge, en cas d’alerte, pour les paysans du village et leurs animaux. Plus tard, à l’époque moderne, on y trouvait les quartiers de la garnison du fort, des jardins et la maison de l’aumônier. Cette partie du château était protégée par des tours et un chemin de ronde battant les abords nord, nord-est et est du château. La basse cour renferme également la chapelle du château, au bord de l’à-pic sud. Cette chapelle, mentionnée dès le XIe siècle, est romane dans ses parties les plus anciennes. Placée sous le vocable de saint Etienne, elle servit, jusqu’au XVIIIe siècle, d’église paroissiale pour les habitants du village de Miolans. Elle était munie au chevet d’un clocheton qui s’est effondré après 1863.
Le grand fossé et l’accès à la haute cour
La basse cour s’achève à l’ouest par un fossé de plus de 21 mètres de large et de près de 11 mètres de profondeur.
Creusé dans le roc, il sépare la basse cour de la haute cour, le cœur du château, où se trouvaient les tours occupées par les seigneurs. Le fond de ce fossé était battu par le tir de nombreuses meurtrières. On observe aujourd’hui les deux puissantes piles de maçonnerie qui permettaient de le franchir grâce à un pont dormant associé à un pont-levis. Au dessus de la porte d’entrée de la haute cour, on remarque encore les deux fentes verticales destinées à recevoir les poutres du pont-levis.
Cette entrée était bien protégée par deux portes (dont on observe toujours les gonds métalliques sur les côtés) renforcées par des barres. Elle était, en outre, défendue par quatre canonnières disposées de part et d’autre de l’entrée.
Le bâtiment dit « appartement de l’Officier major » et « cuisine »
Au nord-est, dans la haute cour, on trouve un bâtiment rectangulaire appelé au XVIIIe siècle « appartement de l’Officier major ». Il comptait deux étages. Les parties les plus anciennes de la construction pourraient remonter au XIIIe siècle. On remarque une grande fenêtre à meneau au sud avec ses bancs de pierre. Tout près, un évier a été aménagé dans une ancienne porte (décorée à l’extérieur du blason des Miolans). A l’Est, on observe une vaste cheminée, un four à pain et la porte d’accès à un réduit. Dans le mur nord, deux portes conduisent à des pièces qui pouvaient être utilisées comme réserves.
A la fin du Moyen Age, le rez-de-chaussée de ce bâtiment a pu servir de salle de réception aux seigneurs de Miolans. Ensuite, à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), ce niveau a dû être converti en cuisine tandis que l’étage servait de logement pour le Major qui assistait le gouverneur dans le commandement du fort.
Le donjon : la pièce maîtresse du château
Le donjon est la construction la plus impressionnante du château de Miolans. Il mesure 23 mètres de hauteur, répartis sur six niveaux, plus une terrasse sommitale. Il s’agit d’un bâtiment quadrangulaire construit au bord de l’à-pic sud. Il possède trois tourelles d’angle (nord-est, sud-est et sud-ouest). Les deux tourelles orientales sont pleines dans leurs parties basses (les trois premiers niveaux) ce qui leur permet de jouer le rôle de contreforts. De petites pièces ont été aménagées dans leurs parties hautes. La tourelle sud-ouest se distingue par son escalier à vis qui permet d’accéder aux différents étages.
Partant de la base de l’édifice, on trouve trois salles basses, un rez-de-chaussée surélevé (au niveau de la haute cour), et enfin deux étages surmontés d’une terrasse. Les indices architecturaux font penser à une construction de la fin du XVe siècle. Des modifications ont été apportées ultérieurement, à l’époque où le château servit de prison.
On accède au donjon, tour principale et résidence du seigneur, depuis un passage voûtée appelé « salle des gardes ». La porte d’accès au donjon possède un linteau en accolade, orné du blason des Miolans, et s’ouvre sur la cage d’escalier. Une seconde entrée, plus simple et percée tardivement, donne un accès direct au rez-de-chaussée surélevé du donjon.
Les prisons du donjon : de l’ « Enfer » au « Paradis »…
Au Moyen Age, les étages du donjon servaient à des fonctions diverses, notamment résidentielles (chambres avec cheminées, latrines et fenêtres), politiques (salle de réception du seigneur pour rendre la justice, tenir conseil…) ou défensives (murs très épais, nombreuses meurtrières…).
Avec la transformation du château en prison à partir du XVIe siècle, les pièces changèrent d’affectation pour devenir des lieux de détention. Les portes, les grilles furent souvent doublées ou renforcées pour empêcher les évasions. Ici, les prisons reçurent un nom particulier, symbolique, sensé refléter les conditions de vie qui y régnaient.
A la base du bâtiment, sans système de chauffage, où les murs sont épais et la lumière est rare, se trouvait donc l’« Enfer ». Il s’agissait du cachot de rigueur où l’on plaçait pour les punir les prisonniers qui avaient tenté de s’évader, qui refusaient d’obéir au gouverneur, qui avaient attaqué leurs gardiens… Ils pouvaient y être enchaînés.
Au dessus de « l’Enfer », le « Purgatoire » est une pièce un peu plus grande, toujours assez sombre (même si la fenêtre est plus large qu’à l’étage inférieur), sans système de chauffage.
Vient ensuite le « Trésor ». Cet étage possède deux fenêtres, dont une plus grande au sud, ainsi qu’une cheminée.
Quelques marches plus haut, le rez-de-chaussée était occupé par les appartements du gouverneur du fort. Ce dernier disposait de trois pièces : une première avec une grande cheminée et une large fenêtre au sud ; une autre au nord avec une fenêtre visant sur le pont-levis, enfin un cabinet au sud-est, aménagé dans un contrefort du bâtiment, destiné à conserver les différentes clefs.
Au dessus des appartements du gouverneur, se trouvaient les deux derniers étages. La « Grande Espérance », une vaste chambre bien éclairée et chauffée, jouxtait la « Petite Espérance » au nord. Enfin, couronnant le tout, le « Grand Paradis » au sud et le « Petit paradis » au nord.
Deux autres prisons se trouvent à proximité, dans une aile assez étroite du bâtiment : les Premier et Second Corridors.
Pour terminer, une large terrasse achevait l’édifice. Comme on peut l’observer sur les gravures anciennes, elle était couverte à l’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècles) d’un grand toit.
Les inscriptions des prisons
Plusieurs inscriptions réalisées par les prisonniers dans certaines pièces du donjon sont encore visibles de nos jours. Elles furent probablement gravées avec des stylets de fortune (morceaux de bois, clous…) dans le crépi qui recouvrait les murs à l’époque moderne. On peut lire, par exemple, « En Dieu me fie non à autre » dans un cartouche très ouvragé (au « Trésor »), ou encore « A Dieu louange et gloyre » (au « Purgatoire »). Malheureusement, le temps, l’humidité et les dégradations ont fait disparaître la plus grande partie de ces précieux témoignages. Des auteurs citent des inscriptions aujourd’hui disparues comme : « Les corbeaux passent au-dessus de nous » ou « Quid fui ? Quid sum ? Quid ero ? Semper captivus ! ».
La haute cour
La haute cour du château s’étend aujourd’hui sur deux niveaux, entre la tour Saint-Pierre et le donjon. D’après les documents du XVIIIe siècle, la partie basse, dite « jardins du bas », était occupée par la « grande place du premier fort ». Il devait s’agir d’un espace de circulation qui pouvait servir de place d’armes. Elle était, dans sa partie sud, fermée par un corps de bâtiment nettement visible sur les gravures anciennes mais aujourd’hui disparu. Il n’en subsiste que son niveau souterrain : la petite pièce où la tradition a placé les « oubliettes » du château.
La partie supérieure de la cour, dite aujourd’hui « jardins du haut », rassemblait plusieurs fonctions et divers bâtiments.
A l’ouest se trouvait le jardin du gouverneur ; à l’est, près de l’appartement du major, une cour donne accès au chemin de ronde et à ses « guérites au dessus du rempart ». Elle est occupée par deux aménagements importants : une citerne et la « chapelle des prisonniers », aujourd’hui fortement ruinée, placée sous la protection du Bienheureux Amédée IX, duc de Savoie (1465-1472). Cette chapelle est probablement une construction de l’époque moderne. Tout près, se trouve la margelle de la citerne médiévale dans laquelle on collectait les eaux de pluie afin de constituer une réserve en cas de siège. L’alimentation en eau du fort s’effectuait aussi par un système de conduites (des « bourneaux ») relié à une source située au dessus du village de Miolans.
Les « salles romaines »
La tour Saint-Pierre marque l’extrémité sud-ouest du château. Elle domine le fossé extérieur du côté de Saint-Pierre-d’Albigny. A l’est, un bâtiment lui est accolé. Il est divisé en deux salles voûtées, chacune possédant sa propre porte d’accès. A la lumière des recherches actuelles, cet ensemble constitue le noyau historique du château. L’observation rigoureuse des murs met en évidence une évolution aussi ancienne que complexe. Certains murs présentent un type d’appareil romain qui a été étudié par plusieurs auteurs, ce qui vaut à cet ensemble l’appellation de « salles romaines ». Elles ont pu servir aux fonctions seigneuriales au Moyen Age, avant d’être transformées en magasins à l’époque de la prison : la première pièce (à l’est) contenait les réserves de poudre, l’autre (plus proche de la tour Saint-Pierre) abritait les vivres.
La tour Saint-Pierre
Cette tour, qui compte trois niveaux voûtés, semble dater du XIIIe siècle. Comme pour le donjon, les différents étages servaient, à l’origine, aux différentes fonctions liées à la vie et aux affaires seigneuriales. Dans un second temps, ils furent transformés en lieux de détention. Au premier niveau, se trouve la « prison d’en bas » avec deux portes, deux fenêtres grillées, une cheminée et des latrines dans l’angle sud-est. On accède à l’étage, dit « prison du milieu », par un escalier extérieur. Cette pièce possède (au sud) des latrines et une vaste cheminée aux piédroits moulurés, ornée d’un blason des Miolans et flanquée d’un placard. La lumière est fournie, à l’est, par une fenêtre fermée par deux grilles. Le troisième niveau, appelé « prison d’en haut », est voûté en coupole. Il possède une cheminée et des latrines au sud. Il est éclairé par deux fenêtres grillées au sud et à l’ouest.
La tour Saint-Pierre est surmontée d’une terrasse couronnée d’un parapet crénelé ainsi que de mâchicoulis. Ce parapet est une restitution du XIXe ou du début du XXe siècle, les créneaux originels ayant probablement été démontés lors de la période révolutionnaire. Les gravures de l’époque moderne nous indiquent que cette tour était couverte d’un toit.
Du haut de cette terrasse on peut apprécier l’un des plus beaux panoramas de Savoie : depuis le Mont-Blanc, et le mont Mirantin à l’est, le massif du Grand Arc et la chaîne de la Lauzière au sud-est, les chaînes des Hurtières et de Belledonne jusqu’au Vercors au sud-ouest, le massif de la Grande Chartreuse à l’ouest et enfin le massif des Bauges avec l’Arclusaz, dominant le site, au nord. On comprend ici mieux qu’ailleurs la position stratégique de Miolans qui constitue un excellent point d’observation pour le contrôle du débouché de la Maurienne et d’une grande partie de la Combe de Savoie.
Le « souterrain de défense »
Ce passage est l’un des éléments les plus intéressants des défenses de Miolans. On y accède par une large porte depuis les jardins de la haute cour. Il s’agit d’une galerie souterraine d’une soixantaine de mètres de longueur semblant dater dans sa majeure partie de la seconde moitié du XVe siècle. Son mur nord constitue la muraille de la deuxième enceinte du château. Grâce à de nombreuses meurtrières (archères et canonnières), les défenseurs visaient le talus extérieur et la rampe d’accès. La galerie est couverte d’une voûte en berceau brisé percée de conduits pour l’évacuation des fumées des armes à feu. Prolongée par un chemin couvert et reliée au chemin de ronde situé juste au dessus par un escalier à vis, elle permettait aux soldats de suivre la progression des assaillants dans la rampe tout en les criblant de projectiles.